
Banque africaine de développement: un choc de visions pour la présidence
Banque africaine de développement: un choc de visions pour la présidence
Thaïs Brouck
06/01/25, 12:00
LE MATCH DE LA SEMAINE – La campagne pour l’élection à la présidence de la BAD bat déjà son plein. Mais les cartes pourraient bien être rebattues, car les prétendants ont jusqu’au 31 janvier pour déposer leurs candidatures.
En cette fin d’année, c’est l’effervescence au siège de la Banque africaine de développement (BAD). Une montagne d’opérations doit encore être approuvée d’ici à la fin de l’exercice 2024. Dans la tour qui domine le quartier du Plateau, à Abidjan, la bataille autour de la succession d’Akinwumi Adesina semble encore une perspective lointaine.
Pourtant, loin de la Côte d’Ivoire, la partie était déjà bien entamée. De la COP29 à Bakou au sommet de la Cedeao à Abuja en passant par les antichambres des palais présidentiels, les prétendants au prestigieux poste s’évertuent à avancer leurs pions, à compter leurs alliés et à tenter de retourner ceux de leurs adversaires.
À l’heure où nous écrivons ces lignes, seuls cinq candidats se sont officiellement déclarés : le Tchadien Mahamat Abbas Tolli, le Zambien Samuel Munzele Maimbo, le Sénégalais Amadou Hott, le Béninois Romuald Wadagni et la Sud-Africaine Swazi Tshabalala.
Deux profils se détachent
Mais jusqu’au 31 janvier, date butoir de dépôt des candidatures, toutes les options sont encore ouvertes. Par exemple, comme Jeune Afrique le mentionnait en mai dernier, le nom du Mauritanien Sidi Ould Tah, actuel président de la Banque arabe pour le développement économique en Afrique (Badea), revient avec insistance. « Je croyais que c’était déjà officiel ! » s’amuse une source au sein de la BAD. Les rumeurs autour d’une candidature venant du Cameroun sont également persistantes. Une situation qui impliquerait un éclatement de la coalition de la Cemac qui a, jusqu’à preuve du contraire, choisi de faire bloc derrière Mahamat Abbas Tolli. « On ne sait pas si Paul Biya et son entourage vont réussir à se décider sur un profil », s’interroge un observateur ouest-africain de l’institution.
En revanche, aucune candidature venant d’Afrique du Nord ou d’Afrique de l’Est ne paraît se profiler. « L’Égypte se concentre sur la campagne de Khaled El-Enany, qui veut prendre la direction générale de l’Unesco, tandis que le Kenya met toute son énergie pour que l’ancien Premier ministre Raila Odinga devienne président de la Commission de l’Union africaine », estime encore notre observateur.
Le match devrait donc se jouer à six, peut-être à sept. Pour remporter la victoire, les règles sont simples : il faut obtenir la majorité des voix parmi les actionnaires africains (60 % de l’actionnariat et des droits de vote) et aussi la majorité parmi les non-régionaux (40 % de l’actionnariat), majoritairement composés de pays occidentaux.
Qui, dans ce contexte, a les plus grandes chances de l’emporter ? Deux hommes, Samuel Munzele Maimbo et Amadou Hott, semblent faire la course en tête. Le Zambien, actuellement vice-président du budget, de l’examen des performances et de la planification stratégique à la Banque mondiale, est soutenu par près de la moitié des pays du continent grâce aux parrainages de la SADC (hors Afrique du Sud) et du Marché commun de l’Afrique orientale et australe (Comesa), qui compte 21 membres, de la Tunisie à Eswatini.
Samuel Munzele Maimbo est aussi l’ancien directeur de cabinet de David Malpass, l’ex-président de la Banque mondiale, réputé proche de Donald Trump. Un atout de poids pour le Zambien, alors que les États-Unis sont, derrière le Nigeria, le deuxième actionnaire de la BAD, avec environ 6,5 % des voix.
Autre argument en sa faveur, une partie grandissante des actionnaires non régionaux veut rompre avec l’administration sortante, et sa candidature est vue comme celle de la rupture.
Une issue incertaine
À l’inverse, Amadou Hott est considéré comme le candidat de la continuité. L’ex-ministre sénégalais des Finances était, jusqu’à récemment, envoyé spécial du président de la BAD pour l’Alliance pour l’infrastructure verte en Afrique (Agia). Un poste taillé sur mesure par Akinwumi Adesina. Si cette proximité avec le Nigérian risque de lui porter préjudice auprès des actionnaires non régionaux, elle ne semble pas choquer les pays africains. « Il mène une campagne très active. Il connaît ses dossiers, notamment l’énergie et la finance verte. Et il bénéficie d’un capital sympathie dans beaucoup de capitales du continent », analyse un cadre africain de l’institution.
Mais la candidature de Sidi Ould Tah, qui, selon nos informations, a déjà engrangé des soutiens de poids, pourrait rebattre les cartes de ce face-à-face. « Le Mauritanien jouit d’une très bonne réputation, il est apprécié par tous. Il peut incarner la rupture et sa présidence serait normale, en opposition à la flamboyance d’Adesina », énumère notre cadre de la BAD, concernant ce candidat jugé solide.
Du côté des challengers, Romuald Wadagni, le ministre béninois de l’Économie et des Finances, a annoncé sa candidature en juillet 2024. Mais depuis, il est aux abonnés absents. Il n’a donc pas la faveur des pronostics. À l’inverse, Mahamat Abbas Tolli est en campagne. En théorie, l’ex-gouverneur de la BEAC a une carte à jouer. Il bénéficie du soutien de la Cemac, ainsi que de celui de la CEEAC, soit d’un pays d’Afrique sur cinq. Mais, en termes de droit de vote, ces 11 actionnaires pèsent à peine plus de 3,6 % du total. Pire, un tiers de ces droits de vote appartiennent à la RDC, alors que Kinshasa est également censé soutenir Samuel Munzele Maimbo, en vertu de son appartenance à la SADC et au Comesa.
Enfin, l’Afrique du Sud, qui détient plus de 5 % des droits de vote, a décidé de rompre son alliance avec la SADC pour soutenir sa candidate, Swazi Tshabalala. « C’est la seule femme et c’est un argument de poids pour les actionnaires non régionaux », confie le cadre de la BAD. Celle qui était jusqu’au mois de septembre la première vice-présidente de l’institution incarne aussi la continuité. Atout ou épine dans le pied ? Une fois les portes capitonnées du Conseil des gouverneurs closes, difficile de prédire quel argument fera définitivement pencher la balance. Jusqu’à la clôture des candidatures au moins, le suspense reste entier.
Download Here: Banque africaine de développement: un choc de visions pour la présidence